Lundi 16 février 2009 à 0:37

 
 
http://arkino.cowblog.fr/images/DSC01706.jpg

 

"Rien

Face à moi. Le vide vertical. La nudité murale.  Face à moi. Ma Tapisserie. Avec des bonshommes qui sourient sur leur moto. Avec des radios. Et puis parfois rien. Juste ce jaune.

    Je suis assis sur le sol de ma chambre, mon corps reposant sur mes mains placées légèrement derrière moi. Je regarde mon mur. Les cadres et posters sont posés à même le sol. Il n’y a plus rien. Je voulais le faire. Juste pour voir ce que cela faisait. Un mur sans rien.

    C’est vrai qu’il est beau ce jaune. Les années ont passées et il a conservé sa chaleur quand le soleil pénètre dans la chambre par la fenêtre. Et autant que je l’aime, je le déteste. Je hais ce jaune, ces radios et ces motos. Je les trouve insupportables. Quoiqu’il arrive, les bonshommes sourient toujours et le jaune est toujours jaune. Un sourire exaspérant qui donne des envies de cutter. Des grands coups, comme ça. Des grands mouvements de bras qui trancheraient net le papier peint.

 

    Un mur sans rien, qui existe que pour lui même. Sans ornements, sans décorations. Un mur, et son papier peint. Comme au début, quand ce n’était pas meublé, quand j’étais un petit garçon. Il n’est pas laid comme papier peint. Je pourrais avoir celui de mon petit frère qui bat le mien à plat de couture dans le domaine chambre d’enfant. Le mien est juste…plus à mon goût. Je ne peux plus le voir.

 

***

 

Mes études consistent à faire des puzzles. Des puzzles d’images. J’en prends deux, j’essaie de les assembler. C’est un long travail de patience pour trouver les deux qui collent parfaitement ensemble. Souvent les deux pièces semblent correspondre et en forçant un peu… ça marche…sans marcher. Et puis au final on trouve la pièce unique, au bon moment, qui collera parfaitement. On prend un peu de temps pour la placer. On sait que c’est celle là qui ira, pas une autre. Et une fois placée, on la regarde et la reregarde pour contempler ce que l’on est capable de faire, comme on regarderait un puzzle achevé.


Il fait chaud dans le studio. L’orage tonne dehors. Dehors c’est le déluge des soirs d’été. On dirait que le ciel a tant accumulé d’eau qu’il se sent obligé de tout libérer d’un seul coup. Je sors du studio et arpente les couloirs de l’école. Dans l’entrée, les élèves regardent, muets, la rue s’inonder peu à peu. C’est comme un spectacle. Dehors des gens courent en tenant parfois une sacoche au dessus de leur tête. Ceux qui sont dans l’entrée tournent la tête pour suivre les passants. Mais jamais personne ne rompt la loi du silence.

    Je suis de retour devant les écrans du studio. Brice, assis devant moi, argue pour la millième fois avec Julie sur le meilleur montage possible. Je crois que l’un d’entre eux s’est retourné pour me demander ce que j’en pensais. J’ai répondu. Je ne sais pas quoi, mais j’ai répondu. Mon esprit est occupé par quelque chose. Une de ces idées qui prennent tellement d’ampleur qu’elles finissent par occuper toute l’attention possible.

 

    Je me lève, je me dirige vers un autre écran, je m’assois devant lui, et j’y vais. Je place une photo d’un des membres de l’équipe, puis j’écris un texte en blanc. J’essaie de faire un générique de fin. J’agence, je teste, je fais apparaître, fais disparaître, je cherche une musique, je coupe, je recolle, mon regard se perd dans la luminosité des écrans. J’oublie que je suis dans un studio. Il n’y a plus que le film, le générique, la succession d’images, son sens. Il n’y a plus de gens autour de moi, ils n’existent plus. Tout le monde travaille silencieusement, sans prêter attention à la mille-et-unième dispute entre Brice et Julie.

 

    Des papiers peints. Je vais mettre des papiers peints.

 

    Mon téléphone sonne sur la table. Il me tire de ma rêverie. Je le saisis et aperçois le visage de mon père, à moitié coupé par une photo mal cadrée.

 

    -Allo ?

 

    Mon père. Lointain. Je n’entends rien. Je me déplace pour capter du réseau. Il parle lentement, sans s’arrêter, mais je ne l’entends toujours qu’à moitié. Je sors du studio, et m’assois sur une marche dans les escaliers.

 

    -Grand-Père est mort.

 

    La voix, soudainement nette. Nous échangeons quelques mots. Brefs. Sans expansion. Des « ah », des « oui », des « okay » qui répondaient à ses phrases brèves. Il raccroche soudainement. Me laissant sur les marches. Je ne sais pas bien ce que je ressens.

 

    Chopin prend place dans le studio. Deux trois notes de piano. Je ne pleure pas. Je ne ressens même pas de la tristesse. Je ne suis pas un personnage de livre qui exprime des sentiments coupés au rasoir. Il n’y a pas d’abîme sans fond, il n’y a pas de sol qui se dérobe sous les pieds. Il n’y a pas de montée de larmes, pas de je m’en foutisme. Rien de tout cela.

 

    J’appuie mécaniquement sur une touche du clavier, lançant la lecture de la première ébauche du générique de fin. Je le vois défiler devant mes yeux, mais je ne le vois pas. Je pense « Il y a un autre générique de fin, ailleurs, d’un film projeté qu’une fois, sans rediffusion. » Et je ris de moi. Secoué de spasmes, je ris de la pensée mélodramatique que je viens d’avoir. Je ris du ridicule de la phrase. Je ris de moi-même. 

 

    Mille-deuxième dispute entre Brice et Julie. Qu’est ce que j’en pense Brice ? Je ne sais pas. Je suis en train de te dire quelque chose, mais impossible de savoir quoi. J’ai dû dire quelque chose en faveur de Julie, car elle affiche un air victorieux. Je suis désolé. Je ne sais pas ce que j’ai dit. C’est sorti. Il y a ces écrans devant moi, et moi, debout au milieu du studio, sans trop savoir.

 

Rien.

 

    Mais alors, vraiment Rien. Comme si l’on venait de m’annoncer que, ce soir, on allait manger du chou. Pas d’embrassades, pas de crises de larmes, rien. Suis-je normal ? Pourquoi je ne ressens rien ? Suis-je devenu tellement insensible que la mort de Grand Père ne m’affecte pas ? Cette simple idée m’affecte plus que la nouvelle. Mes camarades me regardent. Joanna agite sa main devant mon visage. Et dans un rire…

 

    -Eh bien ? Ca va ?

 

    Je souris, je réponds « Oui ». Ca va.

 

  

 

A62

 

Dans la voiture, je regarde l’autoroute. Ce sont des centaines de gens que l’on croise. Des anonymes. Des inconnus. Et pourtant compagnons de voyage. On regarde leur provenance. Finistère. On s’imagine le pull-over marin et la barbe au moins naissante. Ici des Marseillais, et leur pays de soleil. Les autoroutes sont l’endroit des rencontres muettes, une agora rapide de culture.

 

Je songe à tous ces inconnus. A toutes ces personnes que je ne connais pas, qui passent anonymement à toute vitesse dans un sens ou dans l’autre. Par bien des côtés, les autoroutes peuvent être l’analogie de la vie. Une vie à toute vitesse. Un voyage d’un point à un autre. On passe toute sa vie mine de rien à voyager, à choisir sa destination, à prendre des déviations, à bloquer dans des bouchons. On s’arrête sur des aires de repos, on change de compagnons de voyage. Et on reprend le voyage à cent kilomètres à l’heure, dans un paysage que l’on ne prend plus le temps de regarder.

 

Dès lors, les inconnus dans les voitures ne sont plus des barbus bretons, ni de fringants parisiens à la recherche de campagne. Tout le monde est rangé au même rayon. Des vivants filant à toute vitesse vers la fin du voyage. Des futurs morts dans un cercueil roulant.

 

 

Quand nous étions enfants. Nous nous amusions des autres voyageurs de l’autoroute. Nous cherchions les barbus dans des voitures rouges. Et toujours l’un de nous était assez malin pour compter notre père dans le lot. Nous souffrions de l’ennui et nous inventions des jeux pour nous occuper. Assis à ma place aujourd’hui, je cherche des yeux les barbus dans des voitures rouges. Mais le jeu, me semble moins palpitant. Moins vital. Le jeu prenait des tournures de mission lorsque nous étions enfants. Il était essentiel de gagner, et donc pour cela de se concentrer au maximum pour être le premier à voir et à crier.

 

« J’en ai vu un ! »

 

Nous nous répandions en dispute pour savoir qui l’avait vu le premier. Nous faisions appel à nos parents pour l’arbitrage. Le jeu se finissait et débouchait sur un autre. Sur une découverte de nouvelles personnes. Le nez rivé contre la vitre. 

 

Aujourd’hui, nous avons nos baladeurs MP3, le casque sur les oreilles, les Gameboy et autre gadgets. Les gens dehors n’existent plus. La voiture devient un monde qui se meut, indépendamment des autres mondes, des autres voitures. Et dans ce petit monde, en s’en crée un autre. Toujours plus petit. Plus de dispute, plus de compétition. En grandissant, il n’y a plus que l’attente de l’arrivée qui est là. On essaie d’occuper le voyage pour qu’il soit le moins long possible, le moins pénible.

 

Je regarde alors le paysage. Et je prends conscience de la finalité du voyage. La mort au bout. Celle de Grand-Père. Elle ne m’avait jamais occupé l’esprit avant ce moment. C’était un fait quelque part rangé dans ma mémoire. Que j’avais archivé pour continuer à travailler sur mon film, l’esprit tranquille. Et puis la mort de Grand-Père me revient brusquement, et je prends conscience.

 

Grand-Père est mort.

 

Un gouffre s’ouvre alors, dans lequel je plonge muettement. Un abîme de tristesse m’engloutit. A retardement, la nouvelle me heurte de plein fouet. Comme si notre voiture en avait percuté une autre."

Les Particules Complexes, Rien & A62, 2009
© texte protégé par les droits d'auteurs.


Lundi 9 février 2009 à 22:28

http://arkineus.free.fr/blog/brac.jpg

Les lettres d'Héloïse sont l'évidence.

Derrière les mots, il y a elle, que j'imagine assise à son bureau, entre deux bouquins de géo. Il y a la tempête qui rumine. Pourtant une écriture si droite, si régulière. Dehors, il y a le vent qui souffle et à mon tour je prends mon stylo pour écrire sur le cahier. Notre cahier. Témoin de nos joies, nos peurs, nos doutes, nos évidences. Il y a tout, écrit là. Ou pas écrit, mais ici. Des réponses muettes, des récits sans fin, parfois des choses qui ne viennent pas de nous, mais d'auteur dont on se refuse de citer le nom. Par jeu, ou par orgueil.

 

L'essentiel est là, derrière des mots façades qui ne sont que prétexte à un carnet complice. Complices que nous sommes. Loin des faux, loin du convenable. Des lignes et des lignes de questions, de réflexions, à l'autre, à nous-même, et de temps en temps, une fleur, une photo. Un carnet qui sent le mélange, un carnet qui sent bon, un carnet qui sent bien.

 

J'avais oublié les lettres. 

***


Je n'arrivais pas à dormir. Alors j'ai rallumé l'ordinateur.

Je voyais un langage de la typographie. Que la mise en forme des paragraphes que l'on était amené à écrire était en soi une certaine forme de langage. J'ai pris conscience de ça. D'un coup. Alors que je le faisais inconsciemment depuis longtemps. Je me souviens même d'avoir commencé une lettre à Héloïse qui commençait justement par ce jeu d'alignements, de taille de caractères...


C'est bizarre. Je repensais aussi vaguement à 140x200. L'espace d'un instant. Au final, je conclus que je suis incapable d'avoir un avis personnel dessus. Tantôt j'aime, tantôt je trouve ça niais et déplorable. Je n'arrive même plus à me fier aux avis des autres; savoir s'ils disent que c'est bien pour ne pas vexer. J'aimerais en refaire un, mais le temps manque. L'inspiration aussi.


Je pense à Justine. Je pense qu'on a toujours un verre à boire ensemble. Je m'aperçois que je n'ai pas de nouvelles concrètes des autres. Je sens mon ventre se nouer. Justine, Cécile... C'est un peu de ma mémoire, comme ça.


Un jour Justine a dit: "Ton chemin, il viendra comme il viendra". Et c'est marrant que pile poil quand j'écris ça, elle se connecte.


Je me lance...je lui demande de ses nouvelles.


***



J'aime les gens qui sont à semi-concernés parce qu'ils disent. Ainsi ce matin, collégiature dans le CDI de l'ESMI. Question du jour: "la grève". Normal, les effectifs réduits de moitié pour cause de non-transport. Puis la Dame en Rouge.


"Je trouve ça déplorable de faire grève en temps de crise."


Je me suis dit qu'effectivement, c'était très idiot de faire grève en temps de crise, qu'il valait mieux faire grève quand tout le monde était content et que tout allait bien parce que juste là, ça allait changer quelque chose. La Dame de continuer que la plupart sont des flemmards qui ne veulent pas travailler, toujours plus sans se donner de mal, et à qui le moindre prétexte (ici la grève) est bon pour ne pas aller au boulot.


J'aimerais juste ici dire deux trois petites choses rapides...


Vous vous battez pour vos idées, et je vous dis tant mieux. Si vous grevez effectivement pour ne rien faire, alors bon...à vous de voir ce que vous dites votre conscience. Ce que vous ne devez pas oublier, c'est cette phrase:


"aujourd'hui, en France, lorsqu'il y a une grève, plus personne ne s'en aperçoit."


Ne laissez pas l'instauration d'un service minimum gâcher votre droit de grève, et surtout montrez que quand il y a une grève, ça peut faire très mal. J'aimerais vous dire de crier le plus fort possible, de faire bouger tout ça, et d'arrêter de penser que la crise est un début de fin de monde.


Une chose que j'aimerais voir, c'est la fin des réceptions au champagne, et dîner somptueux à l'Elysée; la diminution de salaire des ministres et président. Alors là on verrait qu'il y a un gouvernement qui se préoccupe un peu de la crise, sans balancer des milliards à droite à gauche dans des secteurs en fin de phase quoiqu'il arrive...


J'aimerais que les gens soient moins cons, et sourient un peu.


<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast