Dimanche 28 février 2010 à 1:01

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"Parce que je m'assois sur les marches du métro, et je sens l'air qui s'y engouffre. Les gens qui montent se demandent si je suis un mendiant devant lequel ils doivent passer sans se sentir trop mal. Ceux qui descendent essaient juste de m'éviter et claquent la langue d'un air agacé. Mon manteau est sous moi, et j'ai enfilé un T-shirt à la place de la chemise tachée qui tient sur mon épaule. J'entends un bateau qui passe sur la Seine, et soudain je prend conscience. De l'incroyable silence qui s'était installé dans Paris à ce moment précis. Cet incroyable silence qui m'a permis de distinguer les clapotis de l'eau. Cette infime fraction de seconde qui a créé un trou sonore que moi, au fond de mon refuge souterrain où personne ne me trouvera jamais, ait été le seul percevoir. 

Je me lève brusquement.
Le vacarme a repris.

Sur l'autre rive là-bas. Un peintre. Semblable à celui que j'avais photographié. Indifférent au bateau mouche qui s'éloigne. Je cours sur le trottoir en ne le quittant pas des yeux. J'essaie de maintenir ma veste et ma chemise qui manquent de s'envoler. Je cours, j'ai peur que le peintre là-bas ne soit qu'une illusion, qu'un mirage de mon esprit. Je traverse le pont, haletant. Je bouscule deux trois passants que j'ignore. Seul lui compte. Lui et son chevalet.

Je descends les marches deux à deux. Et ralentis le pas. Je m'approche doucement, pour ne pas lui faire peur. À pas feutrés je l'approche, comme s'il s'agissait d'un animal rare à capturer. Je regarde sa nuque. Pendant quelque secondes. Je ne sais pas ce qui m'a pris, ce qui m'a poussé irrémédiablement vers cet inconnu que je ne connais pourtant que trop bien. Une sorte de magnétisme issu d'une magie oubliée de la capitale.

-Je vous ai photographié cet été.

Il se retourne. À peine surpris. Il semble sortir d'une longue rêverie et ses lunettes carrées, posées au bout de son nez, appuient le fait qu'il me dévisage maintenant. Curieux, il m'observe maintenant, tranquillement avant de prononcer dans sa barbe grise un bref "ah bon." Je sors d'une enveloppe cartonnée, le cliché que je portait sur moi.

-Ce n'est pas moi. dit-il.

Et je me sens rougir. Décontenancé j'essaie de trouver la différence entre les chapeaux, les vêtements, mais tout paraît indiquer que c'est le même homme. Finalement il sourit et prend le cliché. Il le regarde, rigole, puis me le redonne, avant de se replonger dans sa peinture.

-Ce n'est pas moi, parce que c'est un autre tableau."

Les Fleurs. 2010


***

Il a admit par la suite que c'était bien lui que la photo montrait, mais que ce n'était pas vraiment lui parce qu'il peignait un autre tableau. Puis il a posé ses pinceaux et m'a expliqué que tout dans cette ville valait le coup d'oeil à condition que l'on s'arrête pour le regarder. C'était une de ces personnes que l'on croisait souvent en pensant: "c'est un original. Il divague." Et alors qu'il me parlait, et que je me noyais dans sa peinture, je sentais au plus profond de moi ce qu'il voulait dire. À chaque fois qu'il donne un coup de pinceau, il le vit, il le sent, c'est lui qui s'exprime. Il est dans sa peinture. Lorsqu'il l'a finit, une partie de lui meurt. "Chaque nouveau tableau, c'est un nouveau moi. Je prends mon tabouret, mon chevalet, mes pinceaux, je les pose et c'est une nouvelle partie de ma vie qui commence". 

Je crois que nous avons parlé pendant une heure. Surtout lui en fait. Nous ne nous connaissions pas, et rien ne nous rattachait ordinairement. Mais finalement je crois que le fait que j'eusse couru pour lui dire que je l'avais photographié l'a un peu ému.

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