Vendredi 21 août 2009 à 1:50

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Elle s’approche, et ouvre la fenêtre. La fraîcheur et le silence de la nuit s’engouffrent dans la pièce, et chassent la chaleur accablante de la journée. Elle reste quelques instants face au ciel noir. Deux étoiles. Pas de lune. Une nuit sombre, comme elle les aime. Il n’a pas bougé d’un pouce. Debout devant le fauteuil, il attend qu’elle lui indique quoi faire. Elle sent qu’il ne la regarde pas. Il ausculte les murs, les meubles, pour ne surtout pas poser son regard sur elle. Lorsqu’elle se retourne, il lève la tête, le regard interrogatif.
« - Tu veux boire quelque chose ? »
Il acquiesce, et s’assied maladroitement sur le canapé. Le verre, c’est pour reprendre un peu contenance, il n’a pas vraiment soif. Il attend qu’elle s’asseye à coté de lui, lui donne son gobelet plein d’eau. Ils restent côte à côte, sans un mot. Son regard se pose sur le chevalet vide et les quelques pinceaux éparpillés, à moitié cachés dans un recoin.
« - Tu ne m’as pas dit que tu peignais ?
- Je te montre ? »
Elle se lève, passe dans la pièce à coté, et fouille. Elle ressort avec une grande toile vierge qu’elle pose sur le chevalet.
« Viens. »
A son tour, il quitte le canapé et la rejoint.
« - Je pensais que tu allais me montrer des tableaux finis …
- Je n’en ai pas ici. Je vais te montrer comment je fais.
- Ah comme ça ?
- Oui. Regarde. »
Elle attrape deux trois pots de confiture, les remplis de peinture. Jaune, rouge, bleu, noir et blanc. Puis elle mélange deux trois couleurs et prends la large brosse. Elle commence par couvrir la toile de traces vertes. Change de pinceau et installe du rouge, du jaune, par petites touches.
« - Tu vois, c’est simple. A toi. 
- Pardon ? Mais je ne sais pas peindre, moi.
- Moi non plus.
- Je peux pas, ça va être laid, je vais gâcher tes peintures, ta toile !
- On s’en fiche du résultat. L’important c’est le geste.
- Non vraiment, c’est pas pour moi ça, tu sais…
- C’est pour personne, alors. Enfile ça, ce serait bête que tu te taches. Laisse moi faire d’accord ? C’est que de la peinture, ça mord pas. »
Elle attrape une vieille écharpe et lui noue autour des yeux, et lui fourre un pinceau dans la main. Quelle couleur ? Noir. Elle lui prend la main. D’abord, imbiber de peinture, puis trouver la toile. Elle l’entraîne quelques minutes à libérer son geste, puis peu à peu, desserre son étreinte et lâche son poignet pour le laisser continuer seul.
Silence.

Il ne bronche pas. Pourtant il sent mal le pinceau s’assécher, et se demande bien à quoi peut ressembler ce fouillis de couleurs . Ca doit être loin d’un tableau de la Renaissance en tout cas. Soudain, il sent la main de la fille sur la sienne. Elle lui intime d’arrêter, de lui donner le pinceau. Elle guide ses doigts vers le pot de couleur. Lorsque sa peau entre en contact avec la peinture, douce et molle, il ne peut réprimer un mouvement de recul.
«Chhhtt… ça s’enlève très bien à l’eau, ne t’inquiète pas. »
Elle pose un doigt sur sa bouche alors qu’il veut répondre.
«Sens. Sens la matière. »
Elle lui enduit la main de blanc et la pose sur la toile. Tout d’abord il ne bouge pas. Cela ne lui inspire décidément pas confiance. Il sent la peinture couler tout doucement sur le dos de sa main. Ca le chatouille. Il bouge un doigt, lentement, sent le grain de la toile neuve. Un peu plus loin il y a le bord du cadre. Il suit le contour du bout de l’ongle et s’aventurant au centre, découvre avec sa peau ce que ses yeux ne voient pas. Les traces humides et glissantes qui coupent et joignent d’autres traces, pâteuses car plus anciennes. Les gouttes qui dégoulinent et tombent. La peinture séchant sur son épiderme, qui craquèle et semble s’agripper à tous les pores.
Il replonge sa main dans les pots, et applique sa paume  contre le support . Il continue encore, essaie de combler les vides selon ce que lui dicte son toucher. L’amas de peinture suinte maintenant de son odeur, ses empreintes. Il caresse, pique, griffe, étale la matière. Il ne sait toujours pas ce qu’il fait, et cela lui est égal.
 Elle, elle est restée debout près de lui. Elle n’a plus bougé que pour lui présenter de nouvelles couleurs et lui donner un chiffon. Elle a vu son bras devenir plus souple, sec, violent selon les circonstances. Elle a laissé les minutes défiler, fascinée par ce garçon happé dans la couleur dont la main s’était transformée en émotion vibrante.
Il s’éloigne enfin du chevalet. Elle lui prend le bras et le conduit, toujours aveugle, vers la salle de bain, lui lave les mains et lui enlève le bandeau. Il a d’abord du mal à se reconnaître dans le miroir. Comme lors d’une nouvelle rencontre, il inspecte le visage étranger. De ses doigts propres, il touche ses joues, son nez, ses cheveux. C’est bien lui. Il s’est retrouvé.
 
Au moment où il se retourne, elle sait déjà qu’il va partir. Il n’est même déjà plus là. Tous deux reviennent dans le salon. Il ne regarde pas le résultat sur la toile. Sans un mot, il prend son sac, et se dirige vers la porte.
Il hésite dans le couloir de l’immeuble, se retourne. La fille est là, sur le palier. Elle a le regard sombre et impénétrable de ces nuits quelle aime tant. Il a honte tout à coup de son départ précipité. Mais le visage de la fille ne demande rien.
«A demain. »



Hic-et-Nunc

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