La voiture de Grand-Père sent bon le sable. Celui d'il y a 15 ans, lorsqu'il nous emmenait au Cap Ferret dans la maison familiale. J'entends encore Rémi maintenir qu'on dit "crocrodile", et moi de lui prouver que c'est faux. Dis Grand-Père... c'est bien "crocodile" hein? Et Grand-Père qui commençait à chanter."Ah les Croco-co, les Crocro-cro, les Croc Odileuhhh."
Grand-Père aimait chanter. Et dans la boîte à gant, il y avait toujours un TUC pour nous. Gourmandise exceptionnelle, et son péché mignon. Nous étions à l'arrière. Nous jouions avec les pare-soleils. Une fois ou deux on a dû les casser. Ca avait dû le faire rire.
La voiture de Grand-Père sent bon le bois. Celui qu'il coupait. Accessoirement avec ses doigts dans la foulée. Des planches, des sapins, du houx. Tout est passé dans sa voiture. Des bricolages les plus fous, aux déchets les plus encombrants. Je vois encore les planches qui sortent par le coffre, et j'entends leur son lorsqu'elles s'entrechoquent sur le chemin caillouteux des Estrabols.
Puis Grand-Père est parti. C'est la mort ou c'est la vie qui nous l'a pris. Je sais pas trop laquelle des deux. Dans le garage il restait sa voiture. Signe qu'il était toujours là. Quand nous faisions la course sur les routes de montagne avec, c'était lui qui rigolait. Quand nous transportions de quoi réparer la maison, c'était lui qui chantait. Il n'y a plus de TUC depuis longtemps, mais il était là.
Ramener sa voiture à la maison, c'est retirer à la maison de Mazamet une des plus fortes présences de Grand-Père. C'est ôter à Grand-Mère un bien qu'elle aimait beaucoup. "Je ne confie pas la voiture de Papy à n'importe qui." disait-elle. Et là, la voiture est là dans le jardin. Obscène. J'mattends presque à la voir grimacer, à réclamer de rentrer dans les montagnes.
Elle ne bouge pas. Comme si ça ne la dérangeait pas.
Je rentre dans la maison. Je vois mon père.
"Pourquoi tu as ramené la voiture de Papy ici?"